28 sept. 2010

Un "petit homme vert" à Constantine


[Aps 28/9/10] CONSTANTINE - A la nouvelle ville Ali Mendjeli de Constantine, vit un "petit homme vert". Il est visible par tout un chacun, tous les jours que Dieu fait, au bas des tours Cosider, en plein centre de l'agglomération ou dans les espaces qui les entourent. Non, il ne s'agit ni d'un martien, ni de quelque extra-terrestre venu d'une lointaine galaxie mais d'un simple citoyen algérien, "terrien bon teint", dont le comportement éminemment écologique est de nature à laisser pantois. Du sang vert doit lui couleur dans les veines !

A l'heure où les comportements de ses semblables sont malheureusement de moins en moins empreints de vertus citoyennes, au moment où le civisme est en passe de devenir une denrée rare, Nacer B. passe le plus clair de ses journées à arpenter son territoire, armé d'un énorme sac en plastique dans lequel il s'évertue à entasser tout ce qu'il ramasse : vieux journaux, cartons d'emballage, paquets de cigarettes froissés, gobelets, sachets, épluchures de fruits, jusqu'aux plus insignifiants mégots.
Le plus extraordinaire dans tout cela est que notre homme n'est ni employé communal, ni mandaté par l'organisme qui gère les immeubles, ni encore moins rémunéré par qui que ce soit. C'est ''comme ça, c'est une seconde nature chez moi, je suis incapable d'enjamber un détritus sans le ramasser, le mettre dans mon sac et le faire atterrir là où il aurait dû être, dans le bac à ordures'', clame fièrement cet homme trapu de 52 ans, sans prêter attention au regard quelquefois abasourdi des riverains qui, parfois, le complimentent pour son acte de civisme, mais sans pour autant bouger le petit doigt pour participer à son action ''verte''.

Conserver la propreté de la cité, un leitmotiv

Inébranlable, trainant un grand sac deux fois par jour, Nacer sillonne les allées des tours, parcourt les carrés verts, nettoie les entrées des blocs, les trottoirs. Il donne la chasse à tous types de détritus, dans un seul souci : ''conserver la propreté de la cité". Rien n'échappe à l'œil de lynx du quinquagénaire. Ses doigts, à force de répéter le même geste depuis que, tout jeune, il a pris le flambeau des mains de son père, au quartier de Sidi M'cid, ont acquis les ''automatismes'' du ramassage. Pour qui n'a pas eu l'occasion de discuter avec ''M. Propre'', car c'est bien ainsi qu'on le conçoit dans toute la nouvelle ville Ali Mendjeli, le phénomène semble friser l'extravagance, susciter des questionnements même. Agit-il par désœuvrement ou est-ce pure folie? Il est clair que ceux qui optent pour la seconde option ont tout faux : Nacer est sain.

Simple ouvrier dans une entreprise publique à El Khroub, où il se rend chaque jour depuis 28 ans, l'homme s'acquitte dès potron-minet de ce qu'il considère humblement comme un "devoir" de citoyen. Il ne peut s'empêcher, toutefois, d'avoir un pincement au cœur lorsqu'il rentre dans sa cité, l'après-midi. Il a tout le loisir de constater ''les dégâts''. En homme de foi, Nacer fait contre mauvaise fortune bon cœur et à rebelote.

Passion ou obsession, la foi vient en filagranne. Par ce don de soi, le sacrifice de ses quelques heures de repos, ce père de cinq enfants fait preuve d'un dévouement sans pareil à sa mission, poussant le bouchon jusqu'à faire profiter les mosquées de ses services à chaque descente à Constantine-centre.

''Cachez ce sac que je ne saurais voir''

Sa mission, il l'a exercée dans tous les quartiers où il a eu à résider dans la ville des ponts suspendus. A Sidi M'cid où il a passé son enfance dans un milieu très modeste, à Fadila-Saâdane, au Mansourah, Nacer semble aussi avoir un instinct de ''mère poule''. Il fait le bonheur des enfants de la cité Cosider. Meneur de troupes et organisateur de jeux, il est aussi la coqueluche des mosquées Salah-Eddine El Ayoubi de Sidi Mabrouk, "Istiqlal" du Coudiat ou encore "El Baidaoui" de Bab El Kantara.

Mû par la forte conviction que la propreté relève des préceptes de l'Islam, Nacer agit en toute âme et conscience et ne tient grief à personne, même lorsqu'il aperçoit un sac d'ordures éventré, en plein milieu du trottoir. ''Allah Yahdina'', se contente-t-il de glisser, presqu'imperceptiblement, avant de faire disparaître ''l'intrus'' en l'enfonçant prestement dans son énorme bissac.

Membre du comité de quartier de la cité, il est aussi connu pour sa participation active à l'organisation des excursions d'enfants dans le cadre du "Plan Bleu". Les gens n'hésitent pas à solliciter son avis de connaisseur du "coin" quand ils veulent louer un appartement ou obtenir toutes sortes de renseignements relatifs au quartier et à sa tranquillité. Même si Nacer passe pour un citoyen gentil et serviable, il lui arrive aussi de froncer les sourcils : ''gare à celui qui se fera prendre en flagrant délit de dépôt anarchique d'ordures ou en train de jeter ne serait-ce qu'un simple papier", racontent ses voisins de palier, Noureddine et Abdelaziz.

"Là, il s'énerve mais cela ne va pas plus loin que les vociférations. Nacer est incapable de lever la main sur une mouche", confesse néanmoins un de ses voisins. Ce dernier, plein d'humour, lève amicalement le bras de Nacer, comme le ferait un arbitre de boxe pour désigner le vainqueur, et improvise une devise qui colle comme un gant au ''petit homme vert'' : "quand Nacer passe, la saleté n'a plus de place".